Je m’exprimerai en tant que jeune africain. Dans le monde globalisé, les hommes ne sont pas égaux devant le passeport. Cette inégalité se voit dans les difficultés que rencontrent les africains en général et les jeunes en particulier qui désirent effectuer un voyage hors de leur pays. Même pour un voyage de court séjour pour participer à une conférence, voir sa famille ou participer à un séminaire de formation, les difficultés sont énormes. De l’exigence de visas aux contrôles répétés des documents de voyage dans les aéroports, tout semble faire croire que tout africain qui voyage est un potentiel migrant irrégulier. Ces inégalités et discriminations dont sont victimes les africains doivent faire l’objet d’une attention particulière du HLPM.
En outre, dans le monde globalisé il y a des opportunités qui s’offrent à tous. Ainsi un jeune africain peut décider de se marier à une personne vivant dans n’importe quelle partie du monde. Cela est une opportunité qu’offre la mondialisation et le rapprochement des continents grâce aux NTICs et aux moyens de transport. Un jeune africain peut également décider de voyager juste pour découvrir le monde dans lequel il vit et non forcément parce qu’il fuit la pauvreté. Or parmi les jeunes dans le monde, les africains sont ceux qui rencontrent le plus des difficultés pour se marier à une personne vivant sur un autre continent ou pour faire des voyages touristiques.
Au sein du continent, le premier défi nous parait être l’intégration des migrants africains dans leur pays d’accueil. En effet, si les africains migrent plus à l’intérieur du continent que hors du continent, il est tout aussi difficile pour eux dans leur pays d’accueil d’avoir accès à la santé, à la reconnaissance de leur diplôme, de pouvoir poursuivre leurs études ou même de bénéficier du droit à la nationalité même après avoir passé des dizaines d’années dans le pays. Ce défi est important pour combattre le fléau de la xénophobie et la chasse aux étrangers qui se développent dans certains pays africains.
On ne peut passer sous silence les défis liés à la traite transnationale des travailleurs migrants et aux trafics des migrants. Le problème du trafic des migrants a surtout pour origine l’absence de canaux légaux de migration qui obligent les migrants à se remettre aux passeurs. Créer ces canaux de migration permettrait de rendre régulière la migration et éviterait aux travailleurs migrants africains de se voir exploiter dans leur pays d’accueil à cause de leur situation irrégulière.
Il faut porter un regard attentifs sur les politiques de nos voisins de l’Union Européenne qui tendent non seulement à fermer leur frontière mais qui poussent aussi les pays africains qui se trouvent sur les routes migratoires vers l’Europe à fermer leur frontière. Ceci est contraire à la volonté de libre circulation en Afrique à laquelle aspirent toutes les populations africaines. Les enjeux de sécurité sont souvent évoqués pour créer des barrières contre la migration et renforcer la gestion des frontières au détriment de la libre circulation. Il est important de souligner que le renforcement des contrôles aux frontières en Afrique va de pair avec l’augmentation de la corruption à ces points. Les agents d’immigration usent de leur poste pour rançonner les citoyens qui désirent profiter du droit à la libre circulation qui leur a été attribué par les protocoles adoptés par les Etats.
Les effets du changement climatique et de la dégradation de l’environnement en tant que moteurs de la migration doivent nous conduire à une réflexion approfondie sur les mécanismes d’adaptation à envisager pour permettre un emploi et un développement durable en Afrique. La plupart du temps, les communautés rurales, qui sont les premières et principales victimes du changement climatique, parce que la productivité de leurs terres est affectée, se déplacent vers les banlieues des grandes villes africaines avant de quitter le continent via les dangereuses routes migratoires. Si cela n’est pas pris en compte par les politiques, cela peut conduire à plus de conflits et de violences dans les grandes villes en raison du manque d’opportunités et de la concurrence croissante pour la survie.
En général, les causes profondes des déplacements forcés et de la migration doivent être discutées dans le rapport du Panel de Haut Niveau, y compris la gouvernance démocratique en Afrique, la colonisation du continent par les sociétés transnationales, l’évasion fiscale et les inégalités établies par le système économique et commercial international. En effet, les jeunes Africains ne se retrouvent pas dans la gouvernance actuelle de leur pays et du monde. Ils ne se sentent pas entendus. Cela les pousse à radicaliser leurs actions pour changer leur société ou migrer vers les espaces où ils espèrent être plus considérés. Le plus triste dans l’histoire est de voir que les enfants non accompagnés par leurs parents sont de plus en plus nombreux parmi les migrants africains fuyant les difficiles conditions de vie, les situations de répression et de guerre dans les pays.
Nous souhaitons évoquer la difficile question des diasporas. Si elles sont louées pour leur transfert de fonds il n’en reste pas moins qu’elles sont souvent exclues des processus politiques et de gouvernance des pays. En effet la question de la double nationalité et du vote des diasporas restent des sujets qui suscitent de nombreux débats dans les pays africains.
Dans le contexte des négociations du Pacte Mondial sur la Migration (PMM), nous devons exprimer une position concrète sur la situation des «sans-papiers africains» à l’intérieur et à l’extérieur de notre continent. Si la déportation des migrants africains en provenance d’Europe et leur réintégration est encore un débat conflictuel avec nos partenaires de l’Union Européenne, il est important de noter que le processus d’expulsion des migrants irréguliers dans certains pays africains n’est pas acceptable du point de vue des droits humains. Les migrants irréguliers sont simplement reconduits aux frontières du pays d’accueil même si la frontière est un désert. Il est donc nécessaire qu’une recommandation explicite soit formulée dans le PMM pour une interdiction de ces pratiques d’expulsion de même que l’interdiction de la détention des migrants en situation irrégulière.
Il semble également important que notre rapport mentionne les bonnes pratiques que l’Afrique peut faire valoir à la face du monde en matière de gestion de la migration, en particulier de la migration forcée. En ce sens les expériences en Ouganda et au Kenya et les efforts de ces pays pour gérer l’afflux des réfugiés des différents pays de leur région sont à souligner.
Au-delà des discours habituels qui font de l’Afrique un continent de départ, il nous appartient aussi de souligner l’hospitalité des pays africains qui accueillent tout autant les citoyens de différents pays du monde. Les présences indiennes et chinoises visibles dans les marchés africains ne sont un mystère pour personne. La présence européenne, depuis l’époque coloniale, se renforce de nos jours avec l’installation dans les pays africains de retraités européens à la recherche d’un climat agréable pour finir leur vie ou encore les opportunités d’emploi qui attirent de jeunes européens au chômage en compétition parfois avec les jeunes cadres africains.
En tant qu’acteur de la société civile, la première action qui nous incombe est de participer à la dissémination des recommandations qui proviendront du Panel de Haut Niveau. Cela est nécessaire pour permettre à tous les citoyens de s’approprier ces recommandations pour ensuite les faire valoir au niveau des pays. Les organisations de la société civile que nous représentons s’engagent également à mener plus d’actions de monitoring pour évaluer le degré de mise en œuvre des recommandations du HLPM dans les pays. Enfin les recommandations pourront être portées par les organisations de la société civile lors des dialogues politiques avec les acteurs étatiques autour de la migration.
(Intervention de Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations, à la Réunion du Panel de Haut Niveau sur les Migrations Internationales en Afrique, au Siège de l’OIM à Genève, les 28 et 29 mai 2018)