L’arrestation dans la nuit du 3 au 4 novembre par la police gabonaise d’immigrants clandestins ouest africains dont une grande majorité de Togolais a suscité beaucoup de réactions notamment sur les réseaux sociaux. Face aux critiques de toutes sortes qui pleuvent sur ces infortunés, et contrairement à l’image qu’en donnent les médias, il nous parait important de souligner que les migrants clandestins ne sont pas des criminels mais plutôt des victimes. Quitter son pays pour aller chercher du travail ou d’autres opportunités dans un autre pays n’est pas un crime. Les migrants béninois, burkinabè, guinéens, maliens, nigériens, nigérians et togolais qui risquent leur vie clandestinement en pleine mer sur des pirogues surchargées d’hommes et de marchandises pendant 4 à 5 jours pour rejoindre le Gabon le font faute d’une autre alternative pour pouvoir migrer légalement. Ils auraient voulu prendre des avions ou prendre des bus confortables pour voyager comme les autres mais les hommes politiques ne leur ont pas donné d’autre choix.
Les politiques migratoires développées par de plus en plus de pays ne permettent pas la migration légale à tout le monde. Les plus nantis en argent ou en pouvoir y sont privilégiés et le reste de la population doit pour sa part emprunter les voies dangereuses des mers, des déserts et des forêts pour voyager. Sur une planète où même les animaux sentent le besoin de migrer librement plusieurs fois dans l’année pour survivre au changement des saisons, les hommes de pouvoir empêchent d’autres hommes d’avoir le même droit. Tel est le triste sort des migrants qui essaient de mille et une façons de briser les chaines et les barrières qu’on dresse devant eux dans leur quête d’un meilleur avenir. Ce sont les lois créées par les hommes politiques qui conduisent à la clandestinité et à l’illégalité. Les migrants ne sont ni des voleurs ni des tueurs, ce sont juste des personnes qui après avoir tenté vainement de survivre dans leur pays essaient de trouver du travail ailleurs. Il en est de même des hommes riches appelés « investisseurs » qui chaque jour circulent librement dans le monde à la recherche d’opportunité d’affaires. Leurs migrations, faites pourtant d’exploitation des plus pauvres dans les pays où ils s’installent, de corruption des politiques et de pollution de la nature, n’est pas critiquée pour autant. Les lois sont faites pour eux et non pour les plus pauvres.
Les réactions les plus critiques à l’égard des 74 immigrants clandestins arrêtés dont 48 togolais (45 femmes et 3 hommes) venaient avant tout des Togolais vivant à l’étranger. Loin de plaindre la malchance des immigrants arrêtés, ces derniers questionnent plutôt les raisons du départ de ces migrants du Togo pour ‘’aller se chercher’’ au Gabon, un pays en crise. Critiquer ses frères et sœurs qui refusent de vivre dans un pays dans lequel on se refuse soit même de vivre ne peut que paraitre pure ironie. Mais loin de nous attarder sur leurs incriminations, notre préoccupation porte sur la raison première de ce drame qui est la difficulté qu’ont les Togolais à voyager légalement au Gabon, comme dans la plupart des pays d’Afrique centrale.
Il est un fait que le passeport togolais compte parmi la catégorie des passeports les moins bien classés au monde. Ainsi le détenteur d’un passeport togolais peut difficilement voyager sans visa à travers le monde. Seule une trentaine de pays lui sont ouverts. Toutefois, il est bon de souligner que cela n’est nullement lié à la petitesse de notre pays. En effet, des pays insulaires bien plus petits que le Togo comme le Cap Vert, l’Ile Maurice, les Seychelles arrivent à négocier des facilités de mobilités pour leurs citoyens. Même la Gambie, considérée souvent en arrière-plan en Afrique de l’ouest, du moins à l’époque de Yahya Jammeh, offre la possibilité aux détenteurs de son passeport de parcourir plus de pays qu’un citoyen togolais. La facilité de pouvoir voyager sans visa est la solution idoine pour éviter que des vies innocentes ne soient perdues dans les mers, les déserts et les forêts. Il revient à la diplomatie togolaise, qui connait un certain dynamisme ces dernières années, de faire ses preuves pour se mettre au service d’une meilleure mobilité des citoyens togolais à l’image des autres petits pays.
Cette même diplomatie se devra également de veiller au respect de la dignité des Togolais arrêtés pour leur entrée clandestine au Gabon. La diabolisation de la migration irrégulière a malheureusement pour conséquence de voir se multiplier des exactions contre les migrants arrêtés faute de papiers légaux d’entrée ou de séjour dans leur pays d’immigration. Les dernières années ont vu la multiplication de la chasse aux migrants africains et le recours à des expulsions massives de migrants en Algérie, en Angola, au Gabon, en Guinée, au Maroc, en Tunisie, en Afrique du Sud, sans aucun respect de l’humanité des personnes expulsées. En suivant les pas des Européens, les pays africains ont ouvert la voie à une déferlante xénophobe et anti-migrants sur un continent qui rêve d’union panafricaine. La culture de l’hospitalité des populations africaines devient de plus en plus un mythe. Face à la perte progressive de cette valeur fondamentale à toute société humaine, il reste à se retourner vers les institutions politiques, garantes de la protection et du respect de la dignité des citoyens, où qu’ils se trouvent.
(Ecrit par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations)