Depuis l’expédition américaine sur la lune on sait que des petits pas peuvent être importants pour l’humanité. Enfin ce 19 septembre, un sommet des chefs d’Etat à l’ONU pour penser une gouvernance mondiale des migrations et une meilleure gestion des réfugiés. Il a fallu des dizaines de milliers de morts pour que les souffrances des migrants et réfugiés émeuvent les Chefs d’Etat et qu’ils veuillent s’accorder sur le sujet. Une crise de la solidarité humaine sans précédant pour qu’un Président américain en fin de mandat se décide à ouvrir les portes de la maison blanche pour une discussion sur le sujet. Ce n’est pas trop tôt mais vaut mieux tard que jamais.
L’occasion historique qu’offrait ce premier sommet mondial sur la migration digne de ce nom a motivé plus d’un acteur étatique et non étatique à braver la pluie abondante, qui ne cessait de s’abattre sur New York en cette journée, pour rejoindre le siège des Nations Unies. Certes par le passé les tentatives n’ont pas manqué pour arriver à un tel sommet et à une gouvernance globale sur la question migratoire. Les efforts de Koffi Annan en ce sens se sont heurtés aux conflits d’intérêt entre les agences onusiennes et aux Etats qui faisaient la sourde oreille. Cela a du moins accouché d’un Forum Mondial sur la Migration et le Développement qui masque le manque de volonté réelle des Etats à aller de l’avant. Ban Ki-Moon, à quelques mois de son départ, a su relever le défi grâce au concours d’un contexte mondial explosif autour des migrations et des réfugiés qui ne laisse plus le choix aux Etats de se défiler.
L’ouverture de la rencontre a permis au Secrétaire Général des Nations Unies de revenir sur la situation dramatique des migrants et réfugiés dans le monde et l’avancé que constitue la déclaration de New York adoptée à l’unanimité par les Etats au début du sommet. Une déclaration certes sans enjeux pratiques mais qui offre l’occasion de saluer un premier consensus politique autour de ce problème mondial. Bien que manquant d’ambition et dénué de toute contrainte, contrairement à ce que aurait souhaité le Secrétaire Général de l’ONU, la déclaration de New York souligne le souhait des Etats de protéger les droits fondamentaux des migrants et des réfugiés tout en assurant que la charge de responsabilité qui entoure la gestion des réfugiés dans les pays d’accueil soit partagée de façon juste et équitable par tous. Un consensus politique mou certes mais qui a été difficile à trouver tant les sujets de désaccord ne manquent pas.
Un des sujets de friction majeur lors des négociations sur la déclaration concernait la détention en prison des migrants et en particulier des enfants en mobilité. Cette pratique à laquelle quelques pays ont recours est cependant contraire aux conventions onusiennes sur le sujet. Un autre point qui a été sensible à aborder dans la déclaration portait sur la xénophobie et les discriminations dont sont victimes les migrants et les réfugiés. Le débat heurte à ce niveau quand on sait que la xénophobie et les mesures discriminantes sont devenues le fond de commerce électorale des hommes politiques en manque de solution aux crises socio-économiques que vit leur pays. Ban Ki-Moon a saisi l’occasion du sommet pour annoncer le lancement d’une campagne mondiale des Nations Unies sur ces fléaux incompréhensibles dans un monde aussi interconnecté et interdépendant.
Les principaux responsables des agences onusiennes et institutions internationales ont eu le plaisir à la suite du discours du Secrétaire Général de vanter chacun à son niveau les efforts qu’ils fournissent pour apporter des solutions aux souffrances des migrants. Jim Young Kim de la Banque Mondiale s’en est allé à citer les beaux programmes de son institution en soutien au Haut Commissariat pour les Réfugiés afin de répondre aux besoins dans les camps de réfugiés. Drôle d’écouter un tel discours quand on sait le rôle catalyseur de premier plan que jouent, depuis des décennies, les programmes d’austérité et accords commerciaux inéquitables imposés par les institutions économiques internationales, dans le déclenchement des conflits et dans la décision de départ en migration.
La Banque mondiale, fidèle à elle même, après avoir joué pour avoir une assise sur le fond vert sur le climat, voit dans la migration et les réfugiés de nouvelles parts de marché pour ses business de toujours au détriment des pauvres. La déclaration de New York, fraichement adoptée, loin de faire la part belle à la nécessaire solidarité budgétaire pour répondre à la responsabilité que constitue la charge des réfugiés pour les pays pauvres du Sud, qui en accueillent le plus, énonce le recours à « des solutions financières multilatérales innovantes « . Pour les habitués du jargon économico-diplomatique cela veut dire beaucoup de choses.
En passant sous silence le discours de Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations Unies aux Réfugiés, le discours le plus mémorable de la cérémonie fut à l’approbation de tous celui de Zeid Ra’ad Al Hussein du Haut Commissariat pour les Droits de l’Homme (HCDH). La société civile n’a pas manqué de lui faire un « stand ovation » tant ses propos résonnaient dans le cœur de tous comme un message de vérité. Contrairement à ses collègues des autres institutions il a refusé de se congratuler car pour lui ce sommet est la preuve que le système des Nations Unies et les Etats dans leur ensemble ont échoué à donner une réponse humaine et solidaire à la crise posée par la guerre en Syrie. Il a traité les politiques des pays riches qui refusent de partager la responsabilité de la charge des réfugiés et d’en accueillir en nombre suffisant sur leur sol d’ « escrocs » et de « sectaires« .
« Des réfugiés risquent la noyade et sont maintenus à l’étroit dans des centres de détention. Lorsqu’ils sont libérés, ils risquent d’être maltraités par des personnes racistes et xénophobes », a-t-il déclaré. A la fin de son discours il n’est pas allé de mains mortes pour condamner les politiques qui usent de la crainte des étrangers dans leur stratégie de conservation ou de conquête du pouvoir : « Les défenseurs de ce qui est juste et bon sont trop souvent étouffés par ceux qui attisent l’intolérance raciale pour se maintenir au pouvoir aux dépens des plus vulnérables. (…) Beaucoup semblent avoir oublié les deux guerres mondiales, ce qui se passe quand la peur et la colère sont attisées par des demies-vérité et des mensonges flagrants ». D’un responsable d’un tel niveau des Nations Unies on ne s’attendait pas à des propos aussi francs et sans ambiguïtés. Il a même osé souligné à la fin de son intervention que certains des politiques dont ils dénoncent la façon d’agir sont présents dans la salle et devant l’histoire ils répondront sur leur responsabilité.
L’apothéose du sommet a été la signature de la convention faisant de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) une organisation apparentée de l’ONU. Il a fallu soixante cinq ans pour qu’enfin cette organisation soit intégrée dans le système onusien. Bien que son action soit l’objet de beaucoup de critiques de la part des acteurs de la société civile, l’OIM est l’une des organisations s’occupant de certains des problèmes les plus épineux des migrants que bien souvent désertent les autres institutions onusiennes. L’entrée de l’OIM au sein du système des Nations Unies ne règle pas pour autant du moins les querelles de leadership notoires entre agences onusiennes autour de la gouvernance de la migration. Le processus devant amener vers la conférence internationale annoncée pour 2018, qui verra l’adoption de deux pactes mondiaux respectivement sur les réfugiés et sur la migration, donnera l’occasion de voir en quelle mesure la nouvelle architecture onusienne répond effectivement aux douloureuses et difficiles expériences qui font le lot quotidien des hommes, femmes et enfants migrants sur cette terre qui nous appartient à tous.
(Article écrit Par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations)