Par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations
(Intervention à l’Agora Arts et Culture de la COP 22 à Marrakech, 16 novembre 2016)
S’il est bien plus courant d’évoquer l’impact du changement climatique sur les migrations ou le lien entre la mobilité professionnelle et les émissions de gaz à effet serre, il est moins fréquent de parler de l’impact des entraves à la libre circulation des citoyens africains sur les émissions de gaz à effet de serre. La tenue de la COP 22 sur les terres africaines du Maroc offre l’occasion de pointer du doigt cette injustice qui contribue tout autant au changement climatique.
La libre circulation pour réduire les émissions
Beaucoup d’enthousiasme ont accueilli l’annonce de l’arrivée à Marrakech de certains acteurs sociaux d’Europe par bus ou par vélo. Venus de Suède, de Hollande, de Belgique, de France d’Allemagne ou d’Espagne, ces acteurs ont joint leur conviction à l’acte en voyageant de la façon la moins polluante pour joindre une conférence qui doit s’étendre sur les actions concrètes afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur notre planète. Il ne serait surprendre personne d’apprendre qu’un déplacement par bus ou vélo vers le Maroc à partir de l’Afrique Subsaharienne est quasi impossible pour les militants associatifs africains à cause des multiples obstacles à la libre circulation qui empêchent la mobilité des citoyens d’Afrique sur leur continent. Loin de profiter des facilités qui permettent aux européens de l’espace Schengen de pouvoir franchir librement leurs frontières et d’entrée au Maroc sans visa, les citoyens d’Afrique subsaharienne se voient quant à eux obligés de solliciter de multiples visas et de vivre mille et une obstruction sur les routes avant d’arriver au Maroc. Pour éviter ces mésaventures, la seule option reste de prendre un vol beaucoup plus émetteur de gaz à effet de serre pour rejoindre une conférence censée sauver le climat. L’effectivité de la libre circulation des personnes au niveau mondial pourrait en ce sens être bénéfique pour réduire les émissions de Gaz à effet de serre sur la planète. En effet cela donnerait la possibilité à des citoyens engagés d’opter plus pour un déplacement par vélo ou transport en commun au lieu de l’obligation de voyager par vol pour éviter les nombreux visas qui jalonnent la route des migrants.
Un autre aspect critique sur le continent africain qui lie mobilité et impact sur le climat porte sur la gestion des migrations forcées liées aux conflits. Même si cette question est peu abordée, il est indéniable que les opérations militaires, les bombardements massives, les débarquements et autres actions de guerres sont fort nuisibles pour l’environnement et par-dessus tout impactent sur le changement climatique. Il est tout aussi nécessaire de souligner que la gestion des camps de réfugiés qui concentrent des milliers de personnes sur des espaces abritant des forêts et une biodiversité animale aboutit à des conséquences certaines en termes de pollution environnementale. La production d’arme, l’entretien de conflits et la gestion des réfugiés en termes d’assainissement des camps sont autant de phénomènes qui doivent amener à mettre fin aux conflits pour sauver le climat. Toutefois une meilleure répartition des réfugiés évitant leur concentration dans des espaces restreints associée à une meilleure facilité pour leur mobilité apparaît également comme une option à explorer pour réguler les émissions de gaz à effet de serre liés aux déplacés de guerre.
On ne peut faire économie également d’aborder les liens existant entre le tourisme en Afrique, la pollution et le changement climatique. Le mode de tourisme fort peu durable et asocial promu par les multinationales occidentales au Sud reste un facteur important de dérégulation du climat sur notre planète. La ville de Marrakech est malheureusement le triste exemple de ce tourisme tant décrié qui ternit l’âme culturel des peuples pour les conformer à la culture uniformisée et marchande voulue par le système financier international.
Changement climatique et migration : L’autre drame
Bien loin des caméras et des projecteurs qui restent toujours braqués sur les migrants en Méditerranée, des villages et des îles continuent à disparaître sur les côtes africaines à cause de la montée des mers et océans. Du Sénégal au Cameroun, des villages entiers de pêcheurs n’ont d’autres solutions que d’abandonner leurs activités pour rejoindre les capitales et grossir le lot des habitants des bidonvilles. Même son de cloche chez les agriculteurs qui selon les régions voient leurs récoltes décimées par des retards de pluies, des inondations ou si ce n’est l’imprévisibilité du climat. La pression sur les villes, le peu d’opportunité d’emploi et le peu d’écoute dont ils se voient l’objet de la part des gouvernants de leur pays alimentent la route de ces milliers de personnes vers des ailleurs où la vie pourrait être meilleure.
Loin d’apporter une solution concrète à ces victimes de la course à la productivité et au rendement qui a jalonné l’histoire de l’humanité depuis la révolution industrielle, les réunions de la COP n’ont permis jusqu’ alors que de déplorer cette situation dramatique. La seule grande victoire soulignée est l’évocation de la question de la migration climatique dans la déclaration finale concluant la COP 21 à Paris et la création d’une Task force sur le sujet. Que vaut quelques lignes d’une déclaration et une task force face aux souffrances quotidiennes de ces millions de personnes de par le monde obligés de se déplacer à cause du climat ? Ces victimes ignorent même les supposés « avancées » qu’aurait apporté la COP 21 sur leur situation. En effet la non-reconnaissance du changement climatique et des catastrophes naturelles comme motif d’octroi d’un statut de réfugié laisse les victimes dans un flou juridique que personne ne s’empresse de résoudre. Or une définition d’un statut juridique pour les personnes déplacées suite aux problèmes climatiques aurait incontestablement pour conséquence de changer le regard sur ces personnes. Ainsi l’Europe pour refuser d’endosser sa responsabilité dans le déplacement de ces populations les qualifie à tort de migrants économiques.
La responsabilité des puissances industrielles apparaît également par l’impunité dans laquelle baignent les entreprises transnationales auteurs de désastres écologiques fruit de l’exploitation des ressources minières dans plusieurs zones autrefois agricoles ou d’élevage en Afrique. En effet pour extraire l’uranium nécessaire à la production d’énergie dit « Propre » en Europe ou toutes les autres ressources minières utilisées massivement dans nos sociétés de consommation actuelle, des milliers de personnes sont déplacés de leurs terres natales et bien souvent sans dédommagement. La prédation sur les terres et les ressources du continent africain crée un déplacement forcé de population à qui on déni le droit d’être considéré comme réfugiés et qu’on targue de migrants économiques. Or l’extraction des ressources minières et pétrolières ont entre autres conséquences des pollutions immenses des terres, des mers, et de l’air ; dont les coûts sont malheureusement supportés par les populations locales via l’endettement des Etats et non par les entreprises.
Plus que jamais au sein de la COP 22, le débat sur la reconnaissance de la dette écologique liée à l’exploitation depuis plusieurs siècles des ressources du Sud doit être soulevé. Plus que jamais un tribunal pénal international sur les crimes environnementaux doit pouvoir émerger pour juger les entreprises ayant mis en péril l’existence de tant de générations présentes et futures et leurs complices parmi les dirigeants au Sud. Plus que jamais le statut de réfugié climatique doit être reconnu à travers les négociations de la COP pour qu’enfin les damnés du climat soient considérés à leur juste titre et non accusés à tort d’être des migrants économiques.