« La Guinée n’attire pas mais elle retient », me confiait Sylla, un de ces jeunes rencontrés dans la commune de Ratoma à Conakry. Contrairement à Dakar, la corniche des plages de Conakry n’attire guère les touristes qui se baladent dans la région. Toutefois, l’hospitalité de la population guinéenne et l’envoutement qu’offre la diversité des cultures qui se côtoient dans le pays, viennent pallier à cet oubli de Dame Nature. A l’image de toutes les jeunesses dans le monde, ces jeunes guinéens débordent d’interrogations sur les injustices qu’ils vivent au quotidien, au risque parfois de se radicaliser dans des actions violentes contre leur gouvernement. Les mobilisations citoyennes dans les rues de Conakry et de l’intérieur du pays sur la transparence des processus électoraux, le non cumul des mandats, la corruption, la vie chère, les problèmes de logement, le chômage, souvent réprimées par les autorités, servent de plus en plus de tribune pour l’expression d’une jeunesse désespérée sur son avenir en Guinée. Une jeunesse qui trouve le salut depuis plusieurs décennies en s’installant dans divers autres pays africains ou en migrant sur les autres continents au plus loin de la Guinée.
Dans un pays riche de ses minerais, de ses forêts, de ses cours d’eau et de la fertilité de ses sols, la jeunesse se retrouve désemparée face aux choix des gouvernants qui restent incompris et quelques peu en déphasage par rapport aux besoins des citoyens. Des choix gouvernementaux qui répondent plus aux volontés des pays étrangers et des entreprises transnationales, comme le révèle la récente Affaire Bolloré. Au dire de ces jeunes, le passage au pouvoir est vécu comme une aubaine pour s’enrichir le plus vite possible car « le temps est si bref dans la peau d’un chef ». Quid de ceux qui veulent vraiment travailler pour le pays. « Souvent, on ne les aime pas ceux – là, ceux qui prennent des postes pour vraiment apporter du changement se retrouvent rapidement éjectés. », me dit Tidiane entre deux délestages électriques. Ce dernier ne comprend pas comment dans un pays appelé le « Château d’eau de l’Afrique » où prennent sources deux des plus grands fleuves du continent africain, on ne puisse pas générer de l’électricité pour faire fonctionner le pays. Le même sentiment que d’autres jeunes sur le continent, qui voient chaque jour leur intelligence et leur engagement pour « Une Afrique respectée à l’échelle internationale » mis à mal par une élite corrompue et compromise par son allégeance à un système international prédateur au détriment des populations.
La surprise m’est venue des aspirations panafricanistes de ces jeunes. Envers et contre tout, cette jeunesse voit le fédéralisme au niveau continental et un Etat fort à la chinoise comme une solution possible aux maux de gouvernance et de leadership dont souffre l’Afrique. « L’Afrique sera unie ou ne sera pas », me dit au détour d’un commentaire Soumah. Loin des mots creux souvent entendus dans les arènes politiques par des dirigeants africains plus soucieux de la préservation de leur pouvoir dans leur pays que d’une réelle intégration sur le continent, ces jeunes expriment au quotidien cet engagement panafricaniste en œuvrant à la création de solidarités et d’actions transafricaines, via les réseaux sociaux, pour amener à des changements sur le continent. Avec leur peu de moyens, ils parcourent les forums dédiés à la jeunesse dans la région, à la rencontre d’autres jeunes pour construire cette nouvelle élite qui pourra écrire des « success stories » africaines. Si la mobilité des Guinéens sur le continent africain dans le cadre d’activités commerciales est bien connue, celle des jeunes liée à leur engagement panafricain semble toute nouvelle et s’inscrit selon leurs dires dans la continuité de l’œuvre d’Ahmed Sékou Touré, ce leader syndical panafricain à qui la Guinée doit son indépendance.
Il faut noter également que Conakry est une de ces capitales historiques, qu’il fait plaisir à parcourir pour découvrir l’histoire du panafricanisme. Les vestiges de l’exil, dans ce pays, du Ghanéen Kwame Nkrumah et du Cap-verdien Amilcar Cabral, rappellent encore l’accueil réservé par cette ville aux leaders africains engagés pour l’émancipation du continent dans les années 60. En effet, dans les années fastes des indépendances africaines, si Alger était considérée comme la « Mecque » des révolutionnaires africains adeptes de la lutte armée pour l’indépendance, Conakry faisait figure, quant à elle, de lieu de pèlerinage pour l’intelligentsia panafricaniste. Héritiers de ce passé glorieux, les jeunes Guinéens croisés, autant dans les réunions associatives que dans les bars jonchant les carrefours de Conakry, n’ont de cesse de partager le rêve légué par le père de leur indépendance qui a su mobiliser le pays contre la puissance coloniale française.
60 ans après et pour beaucoup d’années encore, le « NON » de la Guinée à la France du Général De Gaule marque les esprits. En rejetant la proposition d’une communauté franco-africaine et en demandant le départ immédiat des colonisateurs français de la Guinée, les Guinéens ont inscrit en lettres d’or leur nom dans l’histoire des résistances à l’impérialisme. A la suite du « NON » des Guinéens, on verra la France finalement abandonner l’idée de la communauté franco-africaine pour opter pour l’octroi d’une indépendance de façade à ses colonies en conservant la colonisation financière via le Franc CFA et la coopération militaire avec ses bases militaires. En représailles toutefois à ce pays africain qui avait osé défier la puissance française, tous les moyens seront déployés par la métropole pour nuire au tout jeune Etat guinéen.
A l’image de ce qu’elle fit en Haïti au XIXème siècle, la France organisera une série d’actions de sabotage économique, des complots politiques et une guerre diplomatique sans précédent, qui plongera la Guinée dans la misère et générera les premières vagues de départ des migrants guinéens. A partir du Sénégal et de la Côte d’ivoire, elle orchestra la déstabilisation du pays par l’introduction de « Faux billets » de francs guinéens. Au même moment à l’international, elle jouera de son poids pour affaiblir les actions des organisations internationales à l’endroit de la Guinée. Ce cocktail d’actions donna naissance à une crise sociale et alimenta des contestations internes réprimées de façon assez autoritaire par le régime guinéen de l’époque. Face à l’ex-puissance coloniale, Ahmed Sékou Touré fit appel à la solidarité panafricaine. Sa vision d’un Etat fédéral africain le détermina à inviter en Guinée des personnalités de tout le continent leur offrant des postes politiques ou la possibilité de développer des projets dans le pays. En reconnaissance à la passion de l’intégration africaine, démontrée par Sekou Touré, ses pairs africains, à la création de l’Organisation de l’Unité Africaine, élirent le Guinéen, Diallo Telli comme son premier Secrétaire Général.
Malgré les péripéties tragiques de la lutte d’émancipation des Guinéens de la puissance coloniale française et l’abdication qui voit la Guinée revenir dans le giron français au début des années 80, le peuple guinéen ne démord pas de la fierté d’avoir à un certain moment de son histoire dit « NON » à la France. « Certes jusqu’alors nous subissons les conséquences du NON », me dit Aïssata, une jeune peule du Fouta. Elle n’a certes pas connu la période Sékou Touré, étant née après sa mort mais elle est toutefois meurtrie par l’absence d’un leader de sa trempe, pour lutter contre le libéralisme mafieux installé depuis la dictature militaire qui remplaça le père de l’indépendance. Pour elle, le plus gros défi panafricain de l’heure reste la libération du continent de ces « pseudo » élites à la solde de Paris et de Washington qui dirigent les pays et les institutions africains. Et qui donnent raison à Frantz Fanon : « Peau noire, masques blancs ».
(Rédigé par Samir ABI, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations)