On ne peut aborder les sujets relatifs aux réfugiés et aux déplacés internes en Afrique sans faire référence à Kampala, la capitale ougandaise. La Commission de l’Union Africaine l’a bien compris et y a donné rendez-vous au bord du Lac Victoria, du 2 au 6 décembre 2019, aux Etats membres de l’Union Africaines, aux organisations internationales, aux organisations de la société civile, aux représentants des communautés de réfugiés et de déplacés internes pour un dialogue de haut niveau. En toile de fond de ce dialogue, la commémoration des cinquante (50) ans de la Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique et les dix (10) ans de la Convention de l’Union Africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique. 2019 a été en ce sens proclamée par l’Union Africaine, l’année des réfugiés, des retournés et des déplacés internes. La rencontre de Kampala a permis de faire le bilan sur les mobilisations autour de ce thème tout au long de cette année et faire le point de la situation peu reluisante des réfugiés et des personnes déplacées internes sur le continent.
Quelques chiffres pour mieux visualiser la situation explosive des déplacés internes et des réfugiés sur le continent. A la fin décembre 2018, on comptait 16,8 millions[1] d’Africains déplacés à l’intérieur de leur propre pays suite à des conflits armés ou violences communautaires. Ce chiffre a connu une évolution rapide durant l’année 2019 qui a vu l’accentuation des conflits en Libye, dans le Sahel, en Afrique centrale et de l’est. Les exemples les plus parlants sont ceux du Burkina Faso qui a vu le nombre de ses déplacés internes passer de 80.000 en janvier 2019 à 500.000 à la mi-octobre 2019[2] , à cause des attaques terroristes qui émaillent ce pays, et l’exemple de la RDC dont le nombre de déplacés internes est passé de 3,1 millions[3] à la fin décembre 2018 à 4,5 millions[4] à la mi-octobre. Il faudrait ajouter à ces données, les chiffres des populations déplacées pour causes de catastrophes naturelles (inondations, sécheresses, tempêtes, etc.) dont le nombre a également augmenté à la suite des Cyclones Idaï et Kenneth qui ont frappé l’Afrique australe cette année faisant plus 617.000[5] déplacés juste au Mozambique et ses pays limitrophes.
Les réfugiés, c’est-à-dire les populations déplacées ayant franchi les frontières de leurs Etats, sont quant à eux toujours aussi nombreux en Afrique avec les conflits persistants au Sud Soudan, en Somalie, en RDC, au Nord du Mali, en Libye, etc. A ces conflits armés s’ajoutent les contestations politiques des pouvoirs en place qui engendrent toujours plus d’affrontements et de départs en exil des populations considérées comme opposants aux partis au pouvoir. Ainsi en 2018 sur les 20 millions[6] de réfugiés dans le monde le tiers, soit près de 7 millions de réfugiés, se trouvait en Afrique. Une situation qui n’est pas près de s’améliorer avec la tentation continue des Présidents dans certains pays africains de ne pas aller vers l’alternance au pouvoir ou dans d’autres pays de partager équitablement les ressources du pays au profit de toutes les communautés. C’est dans ce contexte assez sombre que la Commission de l’Union Africaine a décidé de réunir les Etats et l’ensemble des acteurs impliqués sur le sujet pour réfléchir aux solutions durables à trouver pour les réfugiés, les retournés et les déplacés internes.
A la suite d’une réunion des organisations de jeunesse et d’une consultation continentale, le dialogue de haut niveau a permis d’échanger dans un premier temps sur les causes de cette situation dramatique sur le continent. La gouvernance des Etats africains a été directement pointée du doigt comme à l’origine de tous les malheurs sur le continent. Le manque d’alternance, la corruption, le clientélisme, l’ingérence des puissances étrangères et des multinationales dans les affaires des pays africains ont été cités comme autant de causes profondes de cet état déplorable du continent. Les représentants des communautés de réfugiés et de déplacés internes n’ont cessé de dénoncer l’inaction de l’Union Africaine face aux crises qui les ont conduit en exil. Les responsables de la Commission de l’Union Africaine présents au dialogue ont réagi quant à eux en expliquant aux participants l’impuissance dans laquelle se trouve la commission face aux Etats qui restent souverains dans leurs politiques nationales. En outre la commission de l’Union Africaine, bien que disposant d’une architecture pour la paix et la gestion des conflits, se retrouve souvent en difficulté pour faire asseoir autour des tables de dialogue les parties prenantes des guerres en Afrique. La nécessité de l’émergence d’un leadership continental a été soulignée par de nombreux jeunes présents qui peinent à comprendre pourquoi autant d’efforts depuis la création de l’OUA en 1963 n’aboutissent guère à des résultats conséquents pour éviter les déplacements massifs des populations sur le continent.
Différentes interventions sur les bonnes pratiques en matière d’accompagnement des réfugiés et des déplacés internes ont marqué ce dialogue de haut niveau. Des moments certes très émouvants où la parole était donnée aux réfugiés, aux déplacés internes et aux organisations de la société civile qui ont pu chacun présenter comment ils ont procédé pour faire reprendre espoirs aux damnés des conflits. On a ainsi assisté au témoignage de réfugiés qui ont grâce à l’apprentissage d’un métier manuel, au stylisme, à l’entrepreneuriat, aux activités culturelles ou grâce aux bourses d’études, ont pu se reconstruire une nouvelle vie dans leurs pays d’accueil. Ces « success stories » révèlent que la souffrance du déracinement que vit toute personne déplacée peut être vaincue grâce à la main secourable des pays d’accueil, des organisations humanitaires et de généreuses personnes dans les communautés hôtes. Mais les succès de quelques réfugiés et déplacés ne sauraient cacher l’immense forêt des difficultés qui constituent le lot quotidien des exilés.
Des témoignages poignants ont permis de saisir le lot des injustices que subissent chaque jour les réfugiés et déplacés internes dans les camps. Les infrastructures précaires de ces camps aboutissent à des conditions de vie des plus difficiles. Le peu de sanitaires disponibles pour les milliers de personnes vivant dans les camps engendre un réel problème d’hygiène. Les difficultés d’accès à l’eau et aux bois de chauffe pour cuisiner précarisent encore plus la vie des réfugiés et des déplacés internes. Un Chef traditionnel du Cameroun, présent au Dialogue pour représenter la plateforme des chefs coutumiers d’Afrique, m’a confié lors d’une pause que les camps de réfugiés en Afrique mériteraient le nom de camp de concentration de la façon dont les réfugiés y sont placés sous haute surveillance sécuritaire. Il suggérait plutôt la création de villages d’hospitalité dans les communautés qui accueillent les réfugiés et déplacés internes afin de redonner de la dignité à ces personnes qui ont tout perdu dans leur fuite. Un autre témoignage recueilli lors d’une plénière fut celle d’une jeune participante venue du Nord Est du Nigéria, où sévit Boko Haram, qui qualifia les zones d’habitation du personnel des organisations humanitaire de Paradis face à l’Enfer des camps de déplacés internes. Elle constatait que les conditions offertes aux personnels des organisations humanitaires sont de loin assez luxueuses au regard de la misère et du dénuement qui sévissent dans les camps de réfugiés et de déplacés internes.
Un autre sujet de préoccupation surtout pour les réfugiés est l’identification. Les processus d’étude des demandes d’asile et d’octroi du statut de réfugiés sont d’une lenteur alarmante dans beaucoup de pays africains obligeant les exilés à vivre en clandestinité. Même avec l’octroi du statut de réfugié l’accès à des documents d’identification est un des processus les plus difficiles. Un des responsables des communautés de réfugiés qui revenait d’une réunion à Addis Abeba (Ethiopie), m’a confié que beaucoup d’autres réfugiés de différents pays d’Afrique n’ont pu faire le déplacement car leurs pays d’accueil ne leur ont pas donné de document de voyage. La mobilité des réfugiés au sein même des pays d’accueil est placée sous une stricte surveillance. En effet certains pays d’accueil vont jusqu’à donner des permis de sorti pour qu’un réfugié puisse quitter son camp d’hébergement. Dans ces conditions, il est difficile de chercher un travail décent pour sortir de la vie de mendiant à laquelle les réfugiés sont contraints dans les camps.
L’accès au travail est une des demandes les plus fortes chez tous les réfugiés. Ils souhaitent tous un travail décent pouvant leur permettre d’avoir un salaire pour disposer de leur vie. La discrimination est souvent légion à ce niveau où les réfugiés sont traités moins bien au niveau salarial que les nationaux même lorsqu’ils travaillent pour des organisations humanitaires. Certains Etats d’accueil, par une politique de préférence nationale de l’emploi, rendent difficile tout accès à des emplois décents aux réfugiés. Construire un avenir dans ces conditions pour eux et pour leurs enfants devient quasi impossible. Pour ceux et celles qui sont exclus du marché de l’emploi par les mesures sécuritaires limitant la mobilité des réfugiés ou par les difficultés d’accès aux activités du secteur informel, ils ne restent plus d’autres choix que la prostitution. La précarité dans les camps de réfugiés et de déplacés internes alimente la prostitution et les trafics de toutes sortes. Parmi les complices de ces phénomènes, on retrouve des fonctionnaires des agences onusiennes ou d’organisations humanitaires qui profitent de la souffrance des réfugiés ou des déplacés internes pour abuser sexuellement de certains. Ce triste tableau amène les réfugiés à vouloir quitter rapidement les camps pour regagner leurs pays même si la situation n’y est pas des meilleures.
La question du « retour volontaire » des réfugiés a occupé une grande partie des discussions à cause de la situation actuelle des réfugiés burundais en Tanzanie. Suite à un accord tripartite Burundi-Tanzanie-HCR, des centaines de milliers de réfugiés burundais sont poussés par le gouvernement tanzanien à regagner leur pays alors que la situation au Burundi est loin d’être stable. Pour y arriver le gouvernement tanzanien utilise divers moyens de pression comme les limites à la mobilité des réfugiés, les arrestations, et les blocages dans l’accès à toutes activités génératrices de revenues. Dans ces conditions ; il est difficile de parler de « retour volontaire » des réfugiés. Le difficile débat sur les conditions du retour volontaire revient à chaque reprise lors de nos rencontres avec les officiels onusiens ou les responsables des agences de réfugiés dans les pays d’accueil. Quand la situation dans les pays de départ reste toujours conflictuelle avec le pouvoir en place et que la justice transitionnelle n’a pas abouti à une réelle réconciliation ou pardon entre les citoyens, n’est ce pas un suicide que de pousser les réfugiés à retourner chez-eux ? La réintégration conflictuelle dans les communautés mène à des nouveaux départs en exil si ce n’est la difficulté de retrouver sa terre agricole, son entreprise de commerce ou son emploi qui est déjà pris par une autre personne. On ne peut donc pas s’étonner des problèmes de santé mentale et physique dont souffrent les réfugiés à leur retour dans leur pays d’origine.
Pour les pays d’accueil de réfugiés, le fardeau que constitue la gestion des camps de réfugiés justifie la pression mise pour inciter les réfugiés à retourner chez eux. Bien que les guerres soient profitables aux marchands d’arme des pays occidentaux, il revient aux pays limitrophes des zones de conflit de supporter la lourde charge de l’hospitalité envers les réfugiés. L’Ouganda, l’Ethiopie et le Kenya se retrouvent parmi les pays au monde qui accueillent le plus de réfugiés en compagnie de la Turquie et d’autres pays limitrophes de la Syrie et de l’Irak. Il est à souligner que l’Afrique subit également les conséquences des conflits au Yémen et dans le golfe persique qui drainent des réfugiés syriens, irakiens ou yéménite sur le continent. Face aux limites de la solidarité manifestée par les Etats riches occidentaux à l’endroit des pays africains dans la gestion des réfugiés, ces derniers n’ont le choix que de pousser les réfugiés vers la porte pour s’assurer que leurs maigres ressources profitent à leurs citoyens. Difficile d’imaginer des solutions durables devant un tel scénario tant il est utopique de penser qu’un jour les conflits armés, de pouvoir et de répartition équitable des ressources prendront fin dans le monde.
La nature mixte des migrations actuellement sur le continent africain a justifié notre présence à ce dialogue de haut niveau. Les flux de migrants laissent apparaitre des mélanges entre les demandeurs d’asile à la recherche de protection internationale, les déplacés suite aux catastrophes naturelles et les travailleurs migrants à la recherche d’opportunité d’emploi. Le cadre légal qui encadre chacun de ces mouvements de population étant différent, les solutions à apporter à chaque catégorie font l’objet d’amalgame par les Etats. Ainsi a-t-on vu émerger ces dernières années, à l’initiative des pays de l’Union Européenne, la notion de « Pays Sûrs » c’est-à-dire dont les ressortissants ne devront pas solliciter une demande d’asile. Le drame est qu’aucun pays ne peut être considéré comme sûr car dans tout pays la vie d’une personne peut être menacée à cause de sa race, son ethnie, sa religion son opinion politique ou philosophique, son genre, ses orientations sexuelles. Les pays de l’Union Européenne ont ainsi contribué à détruire la notion de persécution, une des notions fondamentales de la Convention de 1951 relative au statut de réfugiés.
Et comme si cela ne suffisait, dans sa volonté de bloquer les migrations africaines et arabes vers son continent, l’Union Européenne ne cesse de multiplier les obstacles à la mobilité internationale des personnes dans les pays d’Afrique et du Moyen-Orient. En finançant, avec l’assistance des agences onusiennes, les politiques de sécurisation des frontières africaines, l’Union Européenne aide les Etats autoritaires en Afrique à empêcher les personnes persécutées dans leurs pays de fuir vers d’autres horizons. Ces derniers font donc appel au service des passeurs qui sont à leur tour criminalisés par des lois anti-trafic humain. Loin de créer des canaux légaux pour faciliter la demande de protection internationale aux personnes persécutées, l’Union Européenne continue sa fuite en avant en décidant d’externaliser dans des Etats autoritaires africains des centres de traitement de demande d’asile. Les pays européens en sont arrivés à criminaliser la solidarité envers les demandeurs d’asile manifestée par les associations caritatives qui ont le courage d’entreprendre le sauvetage de leurs bateaux de fortune en mer méditerranée. Cette situation révoltante ne pouvant être passée sous silence au niveau africain, il était de notre devoir de l’évoquer durant le dialogue de haut niveau afin d’assurer une prise de conscience sur notre responsabilité collective face au drame des migrations mixtes africaines.
[1] Africa Report on Internal Displacement 2019, IDMC, page 11
[2] https://lefaso.net/spip.php?article92708
[3] Africa Report on Internal Displacement 2019, IDMC, page 14
[4] https://www.radiookapi.net/2019/10/23/actualite/societe/rdc-la-situation-de-plus-de-45-millions-des-deplaces-internes-au-centre
[5] Africa Report on Internal Displacement 2019, IDMC, page 10
[6] https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/ethiopie/quelle-est-la-situation-des-refugies-en-afrique-subsaharienne_3518201.html